Winnie Byanyima vient d’être nommée à la tête de l’Onusida. De la rébellion ougandaise à l’ONG Oxfam, son profil affirmé ne sera pas de trop pour restaurer la crédibilité de l’organisation basée à Genève.

C’est une forte personnalité qui s’apprête à rejoindre la Genève internationale. Actuelle directrice d’Oxfam, la plus grande ONG de développement dans le monde, l’Ougandaise Winnie Byanyima vient d’être choisie pour redresser l’Onusida, récemment épinglée pour sa mauvaise gestion. Ce sera la première femme à diriger cette jeune organisation basée à Genève et créée en 1995 pour éradiquer la pandémie du VIH/sida. Winnie Byanyima est une habituée des premières. Née en 1959, d’un père politicien et d’une mère enseignante et militante de la défense des droits de l’homme, elle s’est politisée très tôt.

Durant sa jeunesse, l’Ouganda est sous la coupe du dictateur Amin Dada. Quand elle a 17 ans, son campus est attaqué. Elle fuit au Kenya puis se réfugie en Angleterre chez sa sœur. «J’avais 300 dollars en poche, que ma mère m’avait donnés, a-t-elle raconté au journal français Libération. Des faux. J’ai été arrêtée au bureau de change mais un policier m’a laissé partir après m’avoir sermonnée.» L’histoire dit que son premier achat au Royaume-Uni était un manteau acquis dans un magasin… de l’ONG Oxfam.

A Manchester, la jeune femme décroche un diplôme d’ingénieure aéronautique. Elle revient au pays pour travailler dans la compagnie aérienne nationale, une première en Ouganda. En 1984, elle rejoint le mouvement armé de Yoweri Museveni devenant l’une de ses plus proches collaboratrices. Deux ans de guérilla dans la brousse plus tard, les rebelles s’emparent du pouvoir. Winnie Byanyima sera ensuite ambassadrice en France avant de revenir en Ouganda où elle a siégé de nombreuses années au parlement.

Passée à l’opposition

Mais, progressivement, elle s’éloigne du président Museveni pour rejoindre l’opposition. Elle accompagne son mari, Kizza Besigye, un autre camarade d’armes de la rébellion, candidat malheureux aux présidentielles de 2001 et 2006 face à l’indéboulonnable Museveni. A Libération, elle dit à propos du chef de l’Etat, toujours fermement aux commandes de l’Ouganda: «Il a rompu avec nos idéaux de liberté, de droits de l’homme et de panafricanisme.»

Une défiance envers le pouvoir de Kampala qui ne l’a pas empêchée de mener une brillante carrière internationale. Avant Oxfam, Winnie Byanyima a travaillé au sein de l’Union africaine ou encore au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) chargée des questions de genre. Féministe, elle répète qu’elle se débrouille très bien sans son mari, accaparé par le combat démocratique en Ouganda. Elle ne le verrait que quelques fois par an.

Une habituée de Davos

Winnie Byanyima ne sera pas complètement dépaysée en Suisse. C’est une habituée du Forum économique de Davos, où elle porte la voix des plus démunis et ferraille contre les plus grandes fortunes de la planète à propos des inégalités mondiales. Ce profil affirmé ne sera pas de trop pour restaurer la crédibilité de l’Onusida sérieusement ébranlée ces derniers mois. C’est le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui a eu le dernier mot sur sa nomination annoncée jeudi mais passée inaperçue en Suisse.

L’an dernier, confrontée à un cas de harcèlement sexuel imputé à un ancien directeur adjoint, l’Onusida avait été incapable de réagir. Un cas irrésolu qui a finalement débouché sur une enquête indépendante. Résultat: un rapport accablant sur la «culture d’impunité» et le «culte de la personnalité» instaurés par le patron de l’organisation, le Malien Michel Sidibé.

Malgré un bon bilan dans la lutte contre le VIH/sida, Michel Sidibé avait été contraint en décembre dernier d’écourter son mandat après que la Suède, l’un des principaux bailleurs, avait gelé sa contribution. Le directeur controversé est finalement parti plus vite que prévu après avoir été nommé en mai dernier ministre de la Santé dans son pays. Dans le communiqué annonçant sa nomination, Winnie Byanyima veut en finir avec le VIH/sida d’ici à 2030. «Un objectif qui est à notre portée», dit-elle, même si elle est consciente des défis à relever. Remettre de l’ordre à l’Onusida ne sera pas le moindre.

Letemps.ch / Simon Petite / 16 août 2019